Le mouvement de la vie en soi

Enfant, tu as rêvé d'un monde idéal. Où il n'y avait ni sexe, ni origine sociale, ni origine culturelle. C'était un rêve de neutralité totale qui permettait de réduire l'espace entre soi et les autres. C'était fort pratique: aucun être ne pouvait être rejeté du fait de sa naissance. Parce qu'au delà du phénomène même du rejet, cela permettait une diminution considérable de cette tension dans la relation de soi à soi .
En grandissant, à l'insu de ton plein gré, tu te retrouves sur le catalogue de ton environnement qui, crois-tu, t'obliges à te positionner.  Tu choisis dans quelle catégorie tu veux boxer: gros ou beau, hétéro ou homo, prolo ou bobo, et "toussa, toussa"... Là, ou te soumets, ou tu te rebelles contre l'ordre établi des choses. Mais dans tous les cas, tu intègres ce système.  Même malgré toi. 

Tu deviens adulte. Du moins, tes papiers d'identité en attestent. Tu veux transformer le monde et tu descends à maintes reprises dans la rue pour manifester parce que le 21 avril t'a foutu la gerbe, que les lois qui passent t'inspirent de funestes perspectives d'avenir, parce que tu crois que la colère peut influer positivement sur le monde. Tu rentres dans la vie active, parce qu'avant semble-t-il tu glandais ostensiblement, tu suis le mouvement et tu arrives à mille lieues de tes rêves d'enfants. Tu entres dans une frénétique recherche de sens dans ce que d'aucuns nomment "monde professionnel" et te lever chaque matin pour aller gagner ta vie devient un acte d'une violence inouïe. Mais, parait-il, tu n'as pas le choix. 

En élevant tes enfants, tu t'aperçois à quel point tu es en décalage avec la vie: naturellement nous savons pour quoi nous sommes faits mais bien souvent, on se perd en route.  Tu cherches alors tes propres réponses en méditant, en lisant, en discutant et hop, catastrophée tu te demandes: mais  où est donc passé mon enfant intérieur?  Tu sais, celui qui rêvait, qui jouait  des heures durant, qui racontait des histoires capillo-tractées, qui dessinait, qui peignait, qui lisait, qui s'émerveillait, qui riait sans retenue, qui vivait pleinement le moment présent, celui qui disait: "même pas mal" la larme à l’œil et qui ne se perdait pas dans sa fantaisiste sériosité.  
Tu pars en quête, réunion au sommet des Chevaliers de la Vie Intérieure. De preux Chevaliers, qui régnaient sans partage sur tes peurs, qui plombaient chacune de tes pensées par des doutes qui nourrissaient ton anxiété chronique qui te donnaient des maux de ventre, et puis ce sentiment diffus de honte, d'incomplétude et de colère de ne pas "rentrer dans le moule", se voient remercier après de laborieuses années de service. 

En y réfléchissant, tu commences à trouver des compromis acceptables et à recruter de valeureux Chevaliers. Tu décides de retourner à tes premières amours, tu vibres en lisant, tu dessines, tu écris et tu décides qu'il est grand temps de devenir toi-même. Alors, de nouveau, tu es un enfant.

Enfant, tu rêves d'un monde idéal. Où chacun s'aime suffisamment pour prendre conscience de sa valeur intrinsèque et comprenne que seul l'amour de soi permet de réduire l'espace entre soi et les autres. Chéris intensément chacune de tes étiquettes, la bobinette cherra,

Tendrement.

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